Neco Z Alenky - Jan Svankmajer

C'est par ces mots que commence le film Neco Z Alenky.


Des adaptations du conte de Lewis Carroll, le Alice de Jan Svankmajer est probablement l'une des moins connues (avec la version de Jonathan Miller). L'univers d'Alice, il le connait bien, ayant adapté Jabberwocky dans un court-métrage en 1971.

Jan Svankmajer, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un réalisateur tchèque spécialisé dans l'animation stop-motion, à tendance surréaliste et symboliste. Les objets de toutes sortes ont sa prédilection, ainsi que les animaux empaillés. Entre ses mains, les objets acquièrent une âme, deviennent des acteurs. L'inanimé prend vie.


Inutile de raconter l'histoire d'Alice, tout le monde la connait.
La version de Svankmajer - chef d'oeuvre méconnu - réalisée en 1987 (et qui est son premier film), est une merveille d'"inquétante étrangeté", morbide, sombre... et parfois terrifiante. De fait, beaucoup peuvent être dérangés par l'adaptation particulière de Svankmajer, qui oscille entre conte et film d'horreur. Mais l'enfance et l'horreur ne se donnent-elles pas souvent la main ?

Tout commence avec quelques mots prononcés par la jeune Alice (Kristyna Kohoutova), dont seules les lèvres sont filmées au moment où elle parle (même s'il s'agit des lèvres et de la voix d'une autre actrice) pour nous raconter son histoire à la troisième personne (seul procedé réellement agaçant, puisque cette image revient souvent sans réels besoins narratifs, sauf celui de ne pas pleinement entrer dans sa tête en jouant sur la distance plutôt que l'implication, et peut-être aussi, un peu de provocation).
La phrase qu'elle prononce à ce moment-là est très importante pour le reste du métrage : "si vous ne fermez pas les yeux, vous ne pourrez rien voir".


Alice est dans son grenier, s'ennuie un peu, et rêve. Elle croit voir son lapin blanc empaillé frémir... quand la vie s'empare de lui, elle le suit, pour ainsi entrer dans un autre monde et rencontrer le chapelier, la chenille sur son champignon et les autres habitants du Pays des Merveilles, avant d'être confrontée au tribunal de la Reine de Coeur. Tous les personnages, hormis la jeune actrice non-professionnelle qui joue Alice (dénichée dans une école), sont des marionnettes, des animaux empaillés ou des objets animés par Svankmajer.


Mais nous ne sommes pas au Pays des merveilles. Pas vraiment.
L'univers dans lequel pénètre Alice est un lieu cauchemardesque, Svankmajer revenant à la source du conte - dont on oublie trop souvent qu'il peut être excessivement noir -, Alice parlant en substance d'un être perdu dans un monde qu'il ne comprend pas.
Dans ce monde, tout semble délètère, vieux, poussiéreux. Le bois craque sous les pas et les poupées sont presque nues. Certains images s'impriment sur la rétine et peuvent provoquer le malaise : ainsi, le lapin blanc, attablé pour son repas, voit une couture se défaire sur le côté de son corps : ce qu'il mange finit par s'échapper de cette ouverture. Il est donc obligé de récupérer ce qui est tombé pour l'avaler à nouveau, après avoir recousu le trou.
L'image de la mort, de la mutilation, de la possible blessure : ossements d'animaux dans la maison du lapin, objets coupants, ciseaux abandonnés, lièvre de Mars qui ne cesse de perdre un oeil, tout est fait de récupérations diverses (la chenille est une chaussette avec un dentier humain lui conférant un aspect terrifiant), maison des horreurs où se cotôyent pots empli de formol, pots de confiture contenant des clous, dinettes et vieilles marionnettes oubliées dans le grenier... Svankmajer veut montrer que sa Alice rêve et ne fait que rêver dans son grenier. Comme tous les enfants, ce qui compose son rêve est une récupération directe de son univers, comme la vieille chaussette, la marionnette ou les cartes à jouer qui se découpent brutalement sur l'image, cartes poursuivies par leur ombre, le fond de la carte.
Cependant, à aucun moment on ne peut affirmer quand Alice rêve, quelle est la frontière entre sa réalité et ce qu'elle est censée vivre en rêve. Svankmajer est un surréaliste, et nous laisse la porte ouverte : si lui dit qu'elle rêve, il faut cependant se laisser porter par notre perception pour en être sûr. Tout est un rêve dans un rêve, pour vulgariser Edgar Allan Poe. L'avantage de fermer les yeux.


Svankmajer ôte tout ce qui peut faire penser à l'extérieur, au soleil, aux arbres et aux fleurs omni-présents dans l'oeuvre de Carroll, pour nous offrir un monde moderne, industrialisé, terrifiant. Contrairement à l'Alice de Carroll, l'Alice de Svankmajer est une petite fille que l'on imagine pauvre, et qui rêvera un court instant, Rêve dans le Rêve, qu'elle est bien l'Alice de Carroll, assise avec sa soeur aînée près d'un lac, motif champêtre de la fameuse Golden Afternoon. D'or et de lumière, elle n'en trouvera jamais la trace dans son univers à elle, même dans son rêve, pourtant lieu de tous les possibles. Un ascenseur remplace le terrier du lapin, et son aventure ressemblerait presque aux cercles de l'enfer décrits par Dante. Des images perturbantes, le film en regorge, comme le bébé-cochon qui descend un escalier en couinant comme le ferait un bébé humain.
L'enfance n'est pas, chez Svankmajer, synonyme de joie et d'innocence : sa Alice promène tout au long du film un regard grave, une tristesse étrange, (parfois) impassible face aux évènements qui se déroulent sous ses yeux. Absente et éloignée au point qu'elle se transformera, un court moment, en poupée aux grands yeux noirs, lorsqu'elle boira la fameuse bouteille avec l'étiquette Drink Me...
L'enfant peut être un martyre, une victime, Alice est toujours au bord du gouffre. Pendant toute son aventure, les situations dangereuses, voire mortelles, ne manquent pas. Aucun personnage ne sera sympathique, ou juste agréable. Il n'y a pas de Chat du Cheshire pour lui montrer la voie, pour la guider. Prise pour cible, malmenée, constamment abusée, l'image des Autres, ou de l'adulte peut-être, ne montre rien, n'apprend rien. Même quand ils le voudraient : le lapin offre un livre à Alice qu'elle doit apprendre par coeur, parce qu'il le faut, sans s'inquiéter de savoir si elle y comprend quelque chose...
La solitude et la mort sont partout, et les enfants , contrairement à ce qu'imaginent la plupart des adultes, connaissent ces deux choses. Comme dans les contes, le film est empli de symboles : les clefs qui ouvrent d'autres passages ne sont qu'un exemple parmi d'autres.


Alice, rempli d'idées et adaptant à son envie un univers bien connu, peut être un film dérangeant pour ceux qui ne seraient pas habitués à ce genre très particulier, entre deux mondes, le vivant (Alice) et l'inanimé qui peut le devenir. Bien qu'éloignée sur la forme, ce film reste, tout en se réinventant constamment, l'une des plus fidèles adaptations du roman du Révérend Dodgson.
Une poésie macabre, viscérale et étrange imprègne tout le film. Un conte surréaliste, d'une richesse visuelle folle et tourmenté, un film précieux contenant en substance tous les cauchemars enfantins (l'isolement, l'abandon, le cannibalisme - le lapin blanc - ; la sexualité - comme ces grenouilles aux langues immenses), mais également adultes : la vieillesse et la pourriture qui est le sort de tout êtres vivants. Sensation d'étouffement et pourtant, sourire aux lèvres ; Svankmajer, comme quelques rares artistes, sait raconter l'Enfance.
Il nous offre un vaste terrain de jeu pour enfants solitaires, cousins pauvres de l'Alice de Carroll, qui sont effrayés quand vient la nuit, où le rêve n'est finalement que le reflet de la vie, Mort et Vie étant intrisequement liés, le rêve étant peut-être plus puissant que le réel, le réel étant peut-être ce fameux monde incompréhensible.


Pardon si c'est trop long !
J'ai trouvé cette petite bande-annonce, réalisée par un amateur du film, je la dépose donc...

J'ai vraiment très envie de le voir... Mais impossible de mettre la main dessus!

Ce film m'attire, car, comme tu l'as dit:

Citation :

Jan Svankmajer, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un réalisateur tchèque spécialisé dans l'animation stop-motion, à tendance surréaliste et symboliste. Les objets de toutes sortes ont sa prédilection, ainsi que les animaux empaillés. Entre ses mains, les objets acquièrent une âme, deviennent des acteurs. L'inanimé prend vie.

Peu de films sont ainsi créé, et c'est bien dommage, car c'est chouette comme genre de films

Après quelques petites recherches, je crains que le DVD ne soit définitivement en rupture de stock... je tenterai de te faire une copie.

Méthode contre mes principes, mais si il n'y en a plus, ça reste la dernière solution
Ca doit bien encore se trouver quelque part.... C'est une honte que des films pareils disparaissent comme ça du commerce... Ca finira bien par revenir, non?

Ahlala... C'est comme quand on veut trouver un CD de Cinema Strange ou de The Virign Prunes... C'est connu (enfin, je me comprends), mais pour en trouver, c'est la croix et la bannière... C'est lamentable. A la place, on a 100 choix parmi Lady Gaga, Justin Bieber (ça s'écrit comme ça? Hum, qu'importe) et je ne sais trop quel autre "pseudo-artiste". Société décadente!!
Bref, je vais me taire, sinon, on est encore là demain matin...

Ça va paraître idiot, mais n'y a-t-il pas une forme intrinsèque (tu as fait une fote d'orthographe à intrinsèque) d'hypocrisie en présentant ce film méconnu et underground comme une trouvaille personnelle (Je t'accorde que tu ne le dis pas, mais c'est pourtant ce qui en ressort) alors même que Télérama le mettais en avant la semaine de ton post ? N'y a-t-il pas là une volonté hypster de se différencier, de se sentir supérieure par rapports aux autres, autres dont tu viens ici quérir les félicitations, plus que les critiques, qui cacherait en réalité un profond malaise ?
Et puis, il y a ce souci permanent du détail chez toi, tu traques la moindre chose, la moindre anecdote. Tu donnes à ton analyse un ton impersonnel, aseptisé, encyclopédique et scolaire, serais-tu dans un bac à lauréat scientifique par hasard ?
Bref, c'est mon avis sur ton post, sans méchanceté, hein, on est ici pour partager et s'améliorer, par pour s'envoyer mutuellement des fleurs !

Nougatrillettes,
Me targuer d'hyprcrisie... je souris en te lisant. Je ne lis plus Télérame depuis des lustres.
Je t'invite, avant toute chose, à te rendre sur le forum d'un ami :

http://laldila.xooit.fr/t142-Neco-Z-Alenky.htm?q=neko+alenky

Tu verras que ce petit texte a été posté le mercredi 8 avril 2009.
Je pourrais rebondir sur toutes les choses, qu'en toute amitié, tu m'écris... mais je ne pense pas que ça en vaille la peine. Je ne crache pas sur la polémique de temps à autres, mais encore faut-il qu'elle m'intéresse.
Sans rancune ?

Si, je suis rancunier, t'es pas tombée dans mon troll velu (comme la chatte de ***). J'ai le seum, tkt.



Par contre, j'ai pas lu ton autre message, il y avait pas assez d'images.

Quel dommage ! Si j'avais su, je t'aurais mis des images du Marsupilami. C'est très visuel.
(J'espère que c'est de la bonne, hein.)

Oh oui ! Marsupilami !

Et puis de la bonne quoi ?